Dans le cadre d’une série de portraits des acteurs de la rénovation énergétique, nous rencontrons aujourd’hui un acteur engagé, créatif, en permanence en mouvement : Gabriel Quentin, responsable technique d’Oktave, la société de tiers financement du Grand Est.

QUEL A ÉTÉ TON PARCOURS ?

J’ai débuté comme architecte urbaniste paysagiste. Frustré de la manière dont ce milieu traitait le développement durable, j’ai décidé de suivre un Master 2 d’Eco-Conseil à l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées) de Strasbourg en 2012. J’ai ensuite obtenu le poste de responsable technique chez un bailleur social puis je suis devenu Conseiller de la rénovation à l’Association de Développement Economique de l’Alsace du Nord. Je me suis alors intéressé, en parallèle de mon métier, aux sujets de formation des acteurs et en particulier des artisans qui interviennent sur les rénovations énergétiques de logements.

Ce poste m’a permis de monter en compétences sur les sujets thermiques et énergétiques, et m’a permis de rejoindre l’équipe d’Oktave, Société de Tiers-Financement du Grand Est, comme Responsable technique. Depuis deux ans et demi, j’y ai mené 15 chantiers et près de 200 audits énergétiques.

 

QU’EST-CE QU’UNE STF (SOCIÉTÉ DE TIERS FINANCEMENT)?

Une STF est un service parapublic doté d’une mission d’intérêt général : accompagner les propriétaires de logements dans leurs projets de travaux de rénovation énergétique. La rénovation énergétique est une jungle administrative, technique et financière inextricable pour la plupart : il y a besoin d’une coordination !

C’EST QUOI OKTAVE ?

Oktave naît de ce constat et se positionne comme service d’accompagnement. Oktave est là pour accompagner les ménages, ce qui inclut : construire leur plan de financement, les aider à faire les meilleurs choix, leur apporter autant de garantie que nécessaire sur la qualité des travaux qui seront réalisés. Oktave est le chef d’orchestre des parties prenantes d’un projet de rénovation.
Ce service permet de centraliser les aides et les financements et d’être au plus proche des ménages pour répondre à toutes leurs questions, et réduire la complexité entravant la prise de la décision. Ce service n’est pas subventionné par la Région Grand-Est : c’est un service payant pour les propriétaires : 1200€ pour un accompagnement administratif et financier du projet sans suivi de chantier, à partir de 4990€ pour un accompagnement total avec coordination des travaux.

QUELLE EST L’AMBITION ACTUELLE POUR OKTAVE ?

Au départ, Oktave devait construire un modèle économique pérenne sur l’Alsace pour des rénovations conformes au référentiel Bâtiment Basse Consommation.
Oktave a débuté ainsi par 50 maisons tests, programme élargi à 500 maisons, ce qui a été facilité par la décision de la direction régionale d’EDF à Strasbourg d’apporter 10 000 € de subventions par chantier.

QUELS SONT, SELON TOI, LES PRINCIPAUX FREINS À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE ?
1.L’instabilité chronique des aides et subventions est délétère

L’exemple le plus récent est la décision d’Action Logement de suspendre leur programme d’accompagnement et de subventions sans préavis : 20 000 € de moins sur un projet qui a mis plusieurs mois à être pensé est un des meilleurs moyens d’éloigner les propriétaires du projet de rénover leur habitation.
Les règles d’attribution des aides et subventions ne cessent de changer alors même qu’au vu de la durée nécessaire pour étudier les projets, il est essentiel que les ménages aient une vue dégagée et claire sur les conditions dans lesquelles ils peuvent réfléchir à leur engagement : une rénovation performante représente souvent un budget très élevé pour un ménage, de l’ordre de 30k€ pour un appartement et de 60k€ pour une maison.

2. Les délais de délivrance des aides et subventions ne sont pas adaptés à un marché de la rénovation où les artisans ont besoin de  sécurité sur l’arrivée des règlements pour éviter des trous de trésorerie.

Aujourd’hui, un artisan émet un devis, les travaux débutent mais les aides ne seront versées que plusieurs mois après, les vérifications une fois effectuées.
Or, le ménage n’a souvent pas les moyens d’avancer la trésorerie, les artisans non plus. Ce rythme d’arrivée des subventions et des aides est découplé de la réalité de trésorerie des artisans.
Chez Oktave, nous plaidons pour la mise en place d’un « compte travaux » : il s’agirait d’un compte géré par un établissement financier qui, d’un côté et sous conditions d’agrément de l’artisan, s’engagerait à régler les factures de l’artisan en temps et en heure, de l’autre permettrait au ménage d’avoir un flux de trésorerie sortante adaptée à ses moyens. En gros, cela se résumerait à faire l’avance des subventions !
C’est un sujet qui n’est pas glamour ! Les banques avec lesquelles nous travaillons ont peu d’appétence pour gérer cette complexité, la Caisse des Dépôts a été consultée mais n’est pas intéressée pour gérer des dossiers dont les montants pouvant s’élever jusqu’à 50k€ pendant dix mois.

PARMI VOS CLIENTS, QUELS SONT LES MÉNAGES-TYPE?

Nous avons constaté quatre grands types de clientèle :

  • Le jeune couple, il veut faire son nid, pouvoir accueillir du mieux possible ses enfants : il est en général informé, adepte d’une rénovation performante, peu ou prou engagé pour la planète. Il réalise ces travaux souvent dans le cadre d’une acquisition immobilière et va intégrer le coût de la rénovation dans le prêt immobilier, bénéficiant ainsi de remboursements sur des durées adaptées (entre 15 à 25 ans).
  • Les ménages qui ont des problèmes dans leur maison, désireux de réaliser soit des travaux d’entretien, soit des gestes partiels : ils ont souvent un prêt en cours et ne disposent plus de capacité d’endettement supplémentaire. Ils ont beaucoup utilisé les offres « à un euro » mais l’efficacité de ces travaux reste questionnable.
  • Les jeunes retraités : arrivés au terme de leur prêt immobiliers, ils décident de réaliser un projet d’amélioration et réinvestissent aussi pour préparer les années qui suivront.
  • La grande précarité : il s’agit là de ménages pauvres ou très pauvres, habitant dans des passoires thermiques où il n’est pas rare de voir les factures s’envoler à plus de 5 000 € annuellement. Ce sont des ménages éligibles à toutes les aides mais souvent désemparés par la complexité globale d’un tel chantier.
QUELLE COMMUNICATION DÉPLOYEZ-VOUS POUR OKTAVE ET SES PROJETS ?

Face à des clients souvent perdus, rebutés par la complexité, interrogatifs sur l’efficacité réelle de ces chantiers, je pense que la communication est absolument nécessaire pour accompagner la prise de conscience des propriétaires. Mais les moyens dont nous disposons à ce stade sont sans doute insuffisants pour aller au-delà d’une communication simple, générique. Pourtant, nous connaissons nos clients et nous pourrions adapter nos messages plus finement en fonction de leur segmentation. Par ailleurs, Oktave souffre encore d’un déficit de notoriété qui entrave son développement, même si, cela dit, le niveau actuel d’activités est plus que suffisant pour notre équipe qui est en train d’augmenter !

QUELS SONT LES PROJETS D’OKTAVE POUR LES ANNÉES À VENIR ?

En résumé : grandir, être plus efficace, contribuer à lever les freins à la prise de décision des propriétaires.

1. Embaucher pour accélérer

Avant tout, Oktave veut accélérer sa croissance à partir des bases solides sur lesquelles cette STF s’est construite. J’étais le premier salarié il y a deux ans et demi, nous sommes 13 aujourd’hui, et si nous voulons atteindre notre objectif de 1 000 maisons par an, il nous faudra assez vite passer à 60/70 personnes, en comptant les conseillers répartis dans les différentes Plateformes Territoriales de la rénovation Energétique réparties sur l’ensemble de la Région Grand Est. Nous allons d’ailleurs recruter 6/7 personnes dans les mois à venir, avis aux candidats ! Nous recrutons souvent des anciens Conseillers Energie en les intégrant au fur et à mesure de l’extinction des subventions de l’ADEME et des collectivités qui finançaient leurs postes. Mais ce n’est pas suffisant : la rénovation énergétique de l’habitat est un secteur d’avenir pour l’emploi ! 

2.travailler en partenariat avec les agents immobiliers

Le constat est que les agences immobilières sont souvent à la fois intéressées et parfaitement réfractaires aux enjeux de la rénovation énergétique.

Dans les centres-villes, le marché est piloté avant tout par l’offre et non par la demande. Il existe donc peu ou pas d’intérêt à la rénovation d’un bien alors même que la demande est forte, quel que soit son état.

Ce n’est pas le cas dans les périphéries et dans les campagnes, où les biens en mauvais état sont difficilement vendables. Les agences rurales sont ainsi de plus en plus techniquement en avance sur leurs homologues de la ville !

L’enjeu est donc d’informer et de former les agents immobiliers : d’abord aux notions de base de calcul thermique mais aussi à la « valeur verte », c’est-à-dire la plus -value constatée lorsque des travaux sont réalisés, même si cette notion est complexe à manier. 

Nous travaillons de plus en plus avec les agents immobiliers, en particulier avec la FNAIM sur la problématique des copropriétés, grâce à un programme financé par l’Europe. À terme, 6 à 8 conseillers Oktave travailleront sur ce segment sur la région Grand Est. 

Le programme ACTIMMO (porté par le CLER) financés par les certificats d’économie d’énergie, et le kit IMMORENO promu par l’ADEME vont aussi permettre mobiliser toutes les agences immobilières du Haut-Rhin pour les doter d’un outil permettant de faire une simulation de plan de travaux et d’économie d’énergie. 

ACTIMMO a pour mission de mobiliser les agences, banques et notaires aux sujets de la rénovation énergétique pour leur permettre de répondre aux demandes et sollicitations de leurs clients. Oktave est partenaire de la diffusion de ce programme et est rétribué pour chaque partenariat signé et chaque session de formation organisée jusqu’au 31 décembre 2021.

 

  1. Inciter à la rénovation lors de l’acquisition

Cette approche est la plus efficace pour l’incitation à la rénovation performante. Une société comme IMMOFIX par exemple cible le vendeur pour l’inciter à la rénovation, prend en charge les travaux et dispose du mandat de vente du bien, ce qui lui permet de se rembourser ensuite sur la prise de valeur verte du bien.

À terme, nous militons pour que les frais de notaire soient réduits en cas d’acquisition d’un bien rénové, voire, comme le proposait la Convention Citoyenne du Climat, qu’une obligation de rénovation lors de la mutation soit mise en place.

Curieux‧se d’en savoir plus ? g.quentin@oktave.fr sera ravi d’échanger avec vous !